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L’envolée Rock & Roll féministe touareg des Filles de Illighadad

Le 20 novembre 2021, la révélation blues-rock touareg féminine, Les Filles de Illighadad, devait offrir un fragment de son univers au sein de l’Opéra Underground.

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Le 20 novembre 2021, la révélation blues-rock touareg féminine, Les Filles de Illighadad, devait offrir un fragment de son univers au sein de l’Opéra Underground.

Dans le village de Illighadad, dans la région de Tahoua et Abalak, en plein cœur de la brousse du Niger, la chanteuse et guitariste Fatou Seidi Ghali décide de créer un groupe de musique entièrement composé de femmes, afin de transmettre le matrimoine touareg dans un monde dominé par le genre masculin. Accompagnée de la percussionniste Alamnou Akrouni et de la guitariste Amaria Hamadalher, Fatou joue et chante le répertoire des “ishumars” (des résistantes). Une musique emprunte de poésie et de transe qui puise dans la tradition du “Tendé” et du blues rock du désert. Fatou a profité d’un passage à Lyon avant le confinement pour revenir sur leur premier EP et leur album “Eghass Malan”, un disque envoûtant, miroir de la jeunesse tamasheq.

L’envol du groupe vient d’une vidéo de toi en train de chanter et jouer qui a été partagée des milliers de fois jusqu’à être visionnée par Christopher Kirkley, patron du label Sahel Sounds ?
Oui, c’est Ahmoudou Madassane, notre guitariste qui nous accompagne, qui m’a filmée à côté de chez moi au Niger, en train de chanter et de jouer de la guitare. J’ai envoyé cette vidéo à quelques amies qui l’ont partagée avec d’autres et ainsi de suite. Un jour Ahmoudou vient me voir et me dit “Fatou, le label de manager de Sahel Sounds a vu la vidéo, il veut absolument te rencontrer”.
Le label est venu ensuite au village nous voir et ils ont commencé à nous enregistrer, tout est parti de là.

Vous mettez en valeur les traditions touaregs, notamment celle du “Tendé” ?
Le Tendé c’est un instrument traditionnel typique de notre culture. On a appris à jouer avec, grâce à nos parents. On a grandi avec ça ! C’est le premier instrument joué par les touaregs avec le Takamba.
Tu vois chez nous, les hommes jouent le Takamba et les femmes le Tendé.
On fabrique cet instrument avec le mortier qu’on utilise pour piler le mil. On prend le mortier à mil, on met une peau d’animal dessus, et on prend le pilon. On l’attache de manière précise et ça donne un bon son. On a donc une bonne percussion, c’est très bon ! Ensuite, on va chercher de l’eau et on met la calebasse dessus, ce qui nous donne une base et un accompagnement pour le Tendé. C’est un instrument touareg fédérateur. On l’utilise dans toutes les cérémonies, les mariages par exemple. Et même dans les festivals ! Parfois la nuit, on se regroupe avec les enfants pour jouer du Tendé jusqu’à l’aube.

Et vous avez décidé de mêler cette tradition au rock ?
Oui, on a grandi avec le son traditionnel mais aussi avec les grands groupes de rock touareg comme Tinariwen. On a donc voulu mélanger ces deux univers, et on est les seules à faire ce mélange spécifique de rock et de Tendé aujourd’hui ! Il y a des femmes qui font du Tendé mais pas comme nous, on est heureuses d’avoir ouvert un nouveau chemin à notre musique.
Le Tendé, est utilisé principalement par les femmes, comment ça se passe ?
Le Tendé c’est un instrument utilisé uniquement par les femmes, même si parfois tu peux voir des hommes en jouer, sauf qu’ils ne chantent pas. Il n’y a que nous qui chantons dessus.
Il y a un côté magique parce que… le Tendé on le joue pour les hommes, pour encourager les guerriers, ou pour les fêtes. Et à chaque fois qu’on le joue, ça crée une ambiance spécifique, c’est indescriptible. Pour que tu comprennes, il faut que tu viennes à notre concert ! (rires)

Vous chantez beaucoup de poésies ancestrales sur votre musique mais aussi des histoires d’amour, la transmission est importante dans vos morceaux.
Oui exactement ! La spiritualité et notre culture sont les éléments principaux de mes textes.
Je chante ces poèmes millénaires transmis à l’oral de génération en génération.
J’aborde aussi les lieux emblématiques de notre pays, notre village et bien entendu, les légendes touaregs qui sont notre force ! Comme l’histoire de guerriers touaregs par exemple. Puis il y a des textes plus militants, pour la reconnaissance de notre culture touareg qu’on trouve dans plusieurs pays d’Afrique. Et bien-sûr je chante aussi pour l’émancipation des femmes.

Des femmes touaregs ?
De toutes les femmes ! Mais on met surtout en valeur la femme du désert : belle, mystérieuse et courageuse. Nous sommes des guerrières ! (rires)
Votre album Eghass Malan est encore plus riche en sonorités que votre premier EP, c’est sûrement lié à vos tournées internationales où vous avez pu découvrir beaucoup de styles de musiques différents ?
Oui ! Notre musique évolue tout le temps ! Même si on garde comme socle la tradition du Tendé et notre rock touareg. Ce disque a beaucoup changé de l’EP enregistré en Brousse, il est plus international on va dire ! Et surtout ça nous permet de faire passer notre message au monde entier.

Pourquoi le titre « Eghass Malan » ?
On parle de la dote, c’est le nom du chameau qu’on donne en guise de dote aux parents de celle que l’on veut épouser. Derrière ce titre, il y a plusieurs métaphores. Par cette action on veut amener l’auditeur dans notre coutume, notre village… C’est comme si on payait la dote pour amener le monde à comprendre notre peuple et reconnaître notre patrimoine culturel.

Vous êtes donc un groupe militant ?
(Rires) Oui bien-sûr ! Juste par le fait de prendre les guitares et jouer, nous sommes des militantes, on ne voit pas d’autres femmes faire ça. On montre à la nouvelle génération que nous pouvons percer dans le rock touareg.

Parlez-moi du titre “Jori” ?
On remercie le premier président du Niger qui a été un des premiers hommes politiques à reconnaître notre peuple. On a fait une grande fête ce jour-là ! Cette chanson résonne comme un hymne pour nous !

En tournant à travers le monde, vous avez exploré d’autres manières de vivre, comment avez-vous réagit ?
On a vu d’autres rythmes de vie, de façon de faire de la musique, de manger ! J’aime voir les femmes en Europe, leur manière d’être. C’est leur tradition comme nous on a la nôtre. Ça ne nous parle pas vraiment mais on est contents de les voir épanouies. Parfois on rigole et on veut s’habiller comme elles, mais ce serait bizarre dans notre culture. J’aime les femmes d’ici, si j’étais un homme j’en épouserais une ! C’est pour ça que je chante pour la condition féminine ! Ces tournées européennes sont mémorables. J’en garde des bons souvenirs. Puis on a joué dans des festivals gigantesques ! Des studios, des salles, des scènes plus grandes que certains villages de chez nous !

Et jamais un Opéra ?
Non, jamais. Nous sommes très fières d’avoir été invitées à jouer ici ! Pour nous c’est un bâtiment presque sacré, et … jouer notre musique ancestrale à l’intérieur de ce lieu est magique ! C’est aussi un moyen de perpétuer le combat des femmes touaregs en jouant dans un lieu aussi prestigieux.

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