Timofeï Kouliabine signe à l’Opéra de Lyon son premier spectacle lyrique en France avec cette Dame de pique, dont il fait ressortir toute la dimension contemporaine – l’amour, l’addiction, la folie.
Après Eugène Onéguine et Mazeppa, Tchaïkovski, pour La Dame de pique, retourne à la source de Pouchkine. Il est ici au sommet du romantisme avec son sens du lyrisme, de la poésie, du fantastique et son ironie parfois, ce qui le rapproche des grands génies, Gogol, Dostoïevski et jusqu’à Boulgakov.
Avec ce chef-d’œuvre, Daniele Rustioni revient au répertoire qu’il aime particulièrement, après avoir dirigé à Lyon de mémorables spectacles : L’Enchanteresse de Tchaïkovski encore et Le Coq d’or de Rimski-Korsakov.
Le secret de Juna
Note sur la mise en scène de La Dame de Pique
Timofeï Kouliabine, metteur en scène de La Dame de Pique à
l’Opéra de Lyon, et Ilya Kukharenko, dramaturge de la production,
ont souhaité présenter les origines du rôle-titre de La Dame
de Pique, dans l’œuvre de Pouchkine et dans leur regard
dramaturgique sur l’œuvre.
Dans La Dame de Pique d’Alexandre Pouchkine, le personnage
qui donne son titre à la nouvelle s’inspire d’une figure historique :
Natalia Petrovna Golitsyna (1741-1837) , aussi célèbre sous le nom
de princesse Nathalie Galitzine, est une aristocrate très admirée
de la cour du tsar Alexandre Ier. Si Pouchkine s’est saisi de son
histoire avec une certaine liberté, on connaît bien le parcours de
cette personnalité : née à Saint-Pétersbourg, fille d’ambassadeur,
elle voyage et vit entre Berlin et Paris, en fréquentant toute
l’intelligentsia européenne de son époque. Surnommée la « Vénus
moscovite » par les courtisans à Versailles lors de sa rencontre
avec Marie-Antoinette en 1783, elle est dame d’honneur de
Catherine II à partir de 1762. Au moment de la publication de la
nouvelle de Pouchkine – dont le domaine familial jouxte celui de la
princesse à côté de Moscou – , elle est encore en vie, et disparaît à
l’âge de 97 ans, la même année que Pouchkine.
Le personnage de la Dame de Pique dans la production de Timofeï
Kouliabine est aussi inspiré d’une figure historique : il s’agit de
la guérisseuse et cartomancienne Juna Davitashvili (1949 - 2015),
une personnalité charismatique très connue en Russie. À la fin
des années 1970 en URSS, ses incroyables capacités mystiques
sont mises en avant par les pouvoirs politiques, notamment en
Géorgie, et en 1980, des articles paraissent sur ses interventions.
De plus en plus populaire à Moscou, Juna Davitashvili se constitue
une clientèle cosmopolite, et devient une star de la télévision à
l’époque de la Pérestroïka. Ses sessions publiques attirent des
milliers de personnes dans des stades de toute l’URSS puis des
pays de l’ex-union.
En 1995, Juna Davitashvili se lance dans la politique et tente, à la
tête de son propre parti, de se faire élire à la Douma, avant de se
proclamer « reine du peuple assyrien » , mettant en exergue des
origines familiales. Un an plus tôt, elle est décorée de l’Ordre de
l’amitié des peuples par un décret de Boris Eltsine pour « services
rendus » , le président de la fédération de la Russie souhaitant
la remercier pour le soulagement des troubles psychologiques
qu’elle proposait aux anciens combattants.