C’est au début des années 70 que le Réunionnais Danyèl Waro, “ti-blanc” natif du Tampon, découvre le maloya et ses grandes figures, alors clandestines – Firmin Viry, Le Rwa Kaf… Comme le blues nord-américain, le bélé martiniquais ou la chanson afro-péruvienne, le maloya est une ancienne musique d’esclaves. Combinant influences africaines, malgaches et indiennes, il perpétue la mémoire d’une communauté d’opprimés qui a d’abord reconquis sa liberté par la parole, le chant et le rythme des tambours. Sur son versant rituel (les hommages aux ancêtres des services kabar) comme sur son versant profane (les chants de peine, d’amour et de joie), le maloya dit depuis toujours qu’on ne peut briser ses chaînes sans s’approprier au préalable un langage qui échappe au contrôle des maîtres. Danyèl Waro raconte qu’en écoutant ce mélange ardent de chants et de percussions, son premier réflexe fut de danser et de hurler de bonheur. L’anecdote est parlante : celui qu’on a parfois dépeint comme un guerrier intraitable est d’abord un épicurien, un homme gourmand et amoureux jusque dans ses accès de rage. Chacun de ses concerts porte le sceau de cette généreuse exigence. Alimentée par le feu roulant des percussions (kayanm, roulèr, pikèr…) et des chœurs responsifs, la flamme vocale de Danyel Waro fait lever la pâte du verbe créole et en libère les enivrants parfums. Entre rage et volupté, elle déclenche une forme de transe qui n’est pas une perte de contrôle de l’esprit et des sens, mais au contraire la recherche d’une clairvoyance supérieure, unissant la pensée, la parole et le geste. A moins d’avoir un cœur en amiante, il est impossible de rester insensible aux divines brûlures que provoque cette musique d’une folle sensualité et d’une lumineuse intelligence.